Intercultur’ère est un séminaire qui a rassemblé en juin les membres d’association qui travaillent sur la thématique : SCI Belgium, DBA, Les Ambassadeurs d’Expressions Citoyennes, ULB Engagée et nous, Jagora. Pendant deux jours, nous avons pu expérimenter l’approche interculturelle via les outils pédagogiques des différentes asbl et nous avons également mis en débat cette fameuse notion d’interculturalité. Dans cet article, nous proposons de revenir sur quelques éléments emblématiques qui ont émergés lors des présentations des intervenants du séminaire : Mohammed Samadi – CBAI ; Critique de Cécile Giraud – Annoncer la couleur & Julien Truddaiu – Présence et Action Culturelles (PAC).
Définition du concept d’interculturalité
Mohammed Samadi – CBAI
1. « Culturel »
Culturel désigne le bagage hérité par un individu, multiculturel désigne l’état d’une société complexe et cosmopolite. Interculturel désigne le projet plus ou moins conscient de faire interagir des cultures différentes mises en présence.
Le creuset familial fait de nous des êtres de culture dès la naissance. Cette imprégnation précoce dans un mode de vie, système de valeurs, mode de communication est indispensable pour faire de nous des êtres sociaux intégrés dans un groupe. La culture d’une société est nombreuse et complexe. Très vite, l’enfant va découvrir la multiplicité des cultures lorsqu’il sort du cercle familial, par exemple, à l’école. Pour entrer en interaction avec des groupes culturels différents, nous devons donc développer des compétences interculturelles, entrer dans une démarche.
2. « L’interculturel »
Il s’agit de l’interaction entre deux identités (individuelles ou collectives) qui se donnent mutuellement un sens dans un contexte chaque fois à définir (Martine Abdellah Pretceille).
L’interaction est définie ici comme un processus d’échanges qui, par la communication, permettra à deux interlocuteurs (ou deux groupes) de s’influencer réciproquement (Margalit Cohen Emerique).
La démarche interculturelle est une compétence qui s’apprend et se développe.
3. Le défi de la diversité
Avec le développement économique, l’explosion démographique et les mouvements migratoires, les grandes villes sont de plus en plus cosmopolites. Le multiculturalisme est un fait de société inéluctable, un défi que le 21ème siècle doit relever. En écologie on insiste sur l’importance vitale de maintenir la biodiversité. Mais dans les relations interculturelles, la diversité évoque plutôt la différence, et la différence fait peur. Elle pose problème car elle interpelle la norme et le fonctionnement habituel d’un groupe
Mohammed Samadi nous explique que la rencontre avec d’autres cultures ne va pas de soi, même si les interactions entre les cultures sont vieilles comme l’humanité. Les chocs culturels, les malentendus, les crises, offrent l’opportunité d’un dialogue plus profond et d’une remise en question de nos pratiques. Il est possible qu’en l’absence de conflits apparents entre les cultures, les relations restent superficielles et les échanges limités aux productions matérielles sans débat sur les valeurs.
Source : syllabus initiation à l’approche interculturelle du CBAI asbl (partie introduction)
Pour aller plus loin :
Critique de Cécile Giraud – Annoncer la couleur
1. Deux voies : l’assimilationnisme & le multiculturalisme
Dès les années 1960, le monde occidental est le témoin a) d’une croissance des mouvements migratoires qui ont comme conséquence de mettre fin à l’homogénéité des communautés nationales occidentales, et b) des mouvements décoloniaux qui permettent à des groupes minoritaires et marginalisés de faire (relativement) entendre leur voix. À l’époque, deux réponses émergent face à ces enjeux, comme autant de cadres politiques ayant vocation à préserver la cohésion sociale dans ces sociétés au visage nouveau (Contini et Pica-Smith 2017)
- La première est celle de l’assimilationisme, qui règle la question de la cohésion sociale à partir de l’assimilation des populations non-natives ou minoritaires à la communauté nationale via l’abandon de leurs us et coutumes et de leurs caractéristiques culturelles.
- La seconde est celle du multiculturalisme, qui se présente comme une approche politique et philosophique qui cherche à se différencier des approches assimilationnistes en proposant que la diversité soit reconnue par la loi et le débat démocratique, et devienne le nouveau socle commun d’une citoyenneté partagée et d’une nouvelle identité nationale. Dans les sociétés multiculturelles, les pratiques culturelles des minorités reçoivent la même reconnaissance et les mêmes facilitations que celle des groupes majoritaires. Au lieu de demander aux minorités d’abandonner leurs pratiques, leurs cultures, pour s’assimiler à la culture dominante et endosser l’identité du groupe dominant, le multiculturalisme reconnait à la diversité le droit d’exister, d’être supportée, et d’être reconnue comme autant d’identités valables à même de redéfinir l’identité nationale.
Alors que l’assimilationisme se heurte à la réalité, notamment aux difficultés liées à la volonté des migrant‧e‧s d’abandonner leur culture alors qu’ils et elles ne perçoivent plus d’avantages à embrasser la culture dominante du pays d’accueil, l’idéal politique et philosophique du multiculturalisme est également mis à mal dès les années 1990 et critiqué dans les sphères académiques, politiques et publiques. On l’accuse principalement d’avoir favorisé la fragmentation sociale et la ghettoïsation des groupes minoritaires en Occident.
2. Une troisième ? L’interculturalisme
L’interculturalisme émerge alors comme un nouveau cadre politique et philosophique jugé mieux à même de gérer les questions de cohésion sociale et de diversité (Endres 2010).
L’interculturalisme se distingue du multiculturalisme et de l’assimilationisme à différents égards : d’une part, il ne requiert pas des individus qu’ils abandonnent leur culture propre et leur identité au profit d’une identité nationale pré-existante, et d’autre part, il ne requiert pas de l’État qu’il reconnaisse et facilite les pratiques culturelles des divers groupes culturels ou ethniques qui composent la nation. L’interculturalisme suggère plutôt que la cohésion sociale peut surgir du dialogue entre les groupes culturels, des échanges, d’une attitude tolérante des uns vis-à-vis des autres.
3. Critiques du modèle interculturel
Bien qu’il semble aller de soi et s’aligner sur des évidences, le modèle interculturel n’est pas exempt de critiques. Parmi celles-ci, deux en particulier sont récurrentes.
Entre universalisme et relativisme
Premièrement, le modèle interculturel apparait comme paradoxal, puisqu’il propose à la fois une célébration de la diversité, une écoute et un respect des vues de chacun, mais en même temps, il vise l’adhésion de tous à des valeurs présentées comme universelles. En effet, l’interculturalité repose sur la capacité des individus à se décentrer, à comprendre que les visions du monde et sur le monde sont multiples, ainsi que sur la transformation des individus à travers un dialogue réciproque. Mais on ne peut pas à la fois supporter, apprécier et célébrer les différentes manières de comprendre et voir le monde, et à la fois faire consensus autour de la tradition occidentale libérale des valeurs universelles (Contini et Pica-Smith 2017).
Déni des enjeux de justice sociale
Deuxièmement, Céline Giraud critique le fait que le modèle de l’interculturalité ne prend pas assez en compte par les questions de justice sociale ou de relations de pouvoir. Elle met en avant le fait qu’il ne peut pas y avoir de vrai dialogue interculturel si les relations de pouvoir liées à la race, aux systèmes de privilèges ou d’exploitation ne sont pas explicitées et discutées. Comment en effet penser un dialogue interculturel réciproque et égal, s’il se déroule entre un groupe dominant et un groupe marginalisé sans aucun pouvoir politique ? (Exemple : Israël-Palestine).
Pour Giraud et d’autres détracteurs, le modèle interculturel qui cherche à développer le respect et la tolérance envers la diversité ne participe pas en soi à plus de justice sociale, puisque les injustices sont liées aux conditions matérielles et politiques dans lesquelles vivent les populations marginalisées. En effet, le modèle interculturel situe l’origine des discriminations dans le manque de sensibilité, d’empathie et de connaissances des individus, et pense donc que la situation peut être changée par des efforts visant à combattre les préjugés, la promotion d’une sensibilisation aux cultures, et les connaissances. Or, le développement de la tolérance et du respect pour la diversité chez les individus ne challenge en rien les hiérarchies établies et les discriminations systémiques (Guilherme et Dietz 2015).
Source : Article complet : https://wikicm.be/linterculturalite-en-education-a-la-citoyennete-mondiale-est-il-temps-de-changer/
Critique décoloniale – Julien Truddaiu
1. Influence de la colonisation sur les discriminations
Bien qu’il soit de notoriété publique que l’histoire occidentale est marquée par la mise en esclavage et la colonisation d’autres peuples, on n’en mesure pas toujours la portée.
Or, ce système colonial influence encore aujourd’hui les rapports sociaux. La colonialité consiste donc en la continuité des rapports de force coloniaux, ses manifestations, dans notre contexte contemporain.
C’est ainsi que le racisme est à considérer comme un « système social » à part entière, c’est-à-dire un tout cohérent formé à partir de structures sociales issues des interrelations, présentes ou passées, entre les individus, les groupes et les institutions. Ce système – en l’occurrence raciste – organisera en quelque sorte le monde social en construisant, de manière formelle ou informelle, les rôles et statuts de chacun·e et tentera, coûte que coûte, de maintenir le statu quo (ou l’homéostasie).
Julien Truddaiu considère que l’interculturalité – ce dialogue entre des personnes porteuses de culture – nie ces enjeux de domination hérité de notre histoire, ainsi que les violences structurelles qui en résultent encore aujourd’hui.
2. Assimilationnisme aujourd’hui en Belgique
Selon Julien Truddaiu, le modèle belge aujourd’hui est proche de l’assimilationnisme. Par exemple, des parcours d’intégration sont un système hérité du régime colonial belge. Pendant cette période, on classait certaines personnes colonisées comme des « évolués » – car ayant intégré la culture, les normes et le savoir belge. Les parcours d’intégration sont directement inspirés de cette pratique et posent dès lors question. Ces parcours attendent des personnes d’adopter la « culture belge » et les valeurs occidentales – ce qui rend cette manière de fonctionner assimilationniste.
Autre exemple de l’assimilationnisme belge : les congés sont imposés selon un modèle historiquement catholique. Il n’existe pas la possibilité pour différentes populations d’avoir des congés nationaux pour leurs fêtes, comme pour la Aid par exemple. La neutralité de l’Etat, ce qui signifie qu’il s’engage à reconnaître les conceptions philosophiques, idéologiques ou religieuses de sa population.
Cette neutralité exclusive est plus dans une logique assimilationniste car elle demande à se conformer aux normes belges de ce qui est « être neutre » en apparence.
Pour aller plus loin :
- Notre Congo, Onze Congo par Elikia M’Bokolo & Julien Truddaïu
- https://bepax.org/publications/colonialite-du-concept-aux-manifestations-concretes-des-rapports-de-pouvoir-entre-militantes-feminis.html
- https://www.bepax.org/actualites/tribune-libre-4stibmivbinclusion.html?fbclid=IwAR0aPy9gzrWGjQ6o0oZ2BQv2-LIneji4-QAk86UpsNgO0ghfuKJzAZuBZuU
Quelques termes clef
o Culturel : Désigne le bagage hérité par un individu o Multiculturel : désigne la coexistence de plusieurs cultures (ethniques, religieuses…) dans une même société, dans un même pays. Le multiculturalisme est aussi une doctrine ou un mouvement qui met en avant la diversité culturelle comme source d’enrichissement de la société. o Interculturel désigne le projet / la démarche plus ou moins conscient(e) de faire interagir des cultures différentes mises en présence. Critique effectuée par le courant antiraciste : manque l’aspect justice sociale et des dominations. o Assimilationnisme : l’assimilation des populations non-natives ou minoritaires à la communauté nationale via l’abandon de leurs us et coutumes et de leurs caractéristiques culturelles. o Diversité culturelle est le constat de l’existence de différentes cultures au sein d’une même population. Elle englobe la diversité linguistique. Sa défense est mise en avant comme moyen de lutter contre le processus d’uniformisation culturelle.
o Intersectionnalité : Dans les sciences sociales, ce concept permet d’analyser les liens entre les différentes discriminations, qu’elles soient de classe, de race ou de genre. Cette lecture croisée a, à son tour, gagné le terrain militant, désignant plus globalement la convergence des luttes contre toutes les formes de discriminations : le racisme, le sexisme, l’homophobie, la transphobie, etc. o Inclusion : la création d’un milieu où les gens éprouvent un sentiment d’appartenance et se sentent respectés, valorisés et interreliés, et où chacun exprime son être « authentique » (ses idées, ses antécédents et sa perception des choses) dans son travail avec ses collègues et auprès des clients.
o Racisme : un « système social » à part entière, c’est-à-dire un tout cohérent formé à partir de structures sociales issues des interrelations, présentes ou passées, entre les individus, les groupes et les institutions.
o Colonialité consiste donc en la continuité des rapports de force coloniaux, ses manifestations, dans notre contexte contemporain.
o Pensée décoloniale : elle dénonce une décolonisation incomplète dans laquelle les hiérarchies raciales, économiques, de genre persistent. Elle remet en cause l’eurocentrisme et dénonce une hégémonie économique et culturelle, prônant le recours à des savoirs pluriversels qui rendraient mieux compte de la diversité du monde et de l’hétérogénéité des connaissances.
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